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BIOGRAPHIE

   Yusuf Kadel est né le 5 décembre 1970 à Beau-Bassin (île Maurice). Après des études au collège du Saint-Esprit, à Quatre-Bornes, il s’envole en 1989 pour Paris et entame à l’université de Paris I un DEUG d’administration économique et sociale (AES.) Très vite, l’ambiance du Quartier latin lui semble moins inspiratrice que celle de Montmartre et des Halles. Ces escapades le mèneront très souvent dans les cafés et buvettes de ces quartiers, où il cultivera sa soif de création à travers les clins d’œil des peintres et la lecture d’auteurs comme Boris Vian et Henry Miller. C’est tout naturellement qu’il est accueilli au sein d’un cercle littéraire, le Cénacle, à son retour à Maurice ; c’est également dans une anthologie réunissant les œuvres du Cénacle que paraîtront ses poèmes de jeunesse : « Bribes », suite poétique, dans Moisson de Cristal, 1993. Il devient vite un des animateurs incontournables de la nouvelle génération littéraire de l’Ile. Il collabore à la revue Tracés, fondée par Shenaz Patel, puis rejoint l’équipe du magazine littéraire et culturel Nouvel Essor. Depuis 2006, il coordonne la revue de poésie Point barre. Outre divers poèmes publiés dans des revues, Yusuf Kadel a à son actif deux livres : Un septembre noir et Surenchairs. 

   C’est donc à Paris, en arpentant les pavés de Montmartre, que Yusuf Kadel sent de manière impérieuse l’appel de l’écriture. La poésie est déjà en lui, certes, avec cette force inéluctable de désirs mus par la liberté d’exister. Briser les contraintes et les tabous, laisser sa plume entrer au plus profond de la chair des mots et donner ainsi la substantifique moelle de ses émotions, en les mettant à portée de tous. Entrer en littérature pour Yusuf Kadel signifie également devenir particulier dans un univers de création littéraire qui est « la littérature mauricienne partagée, c’est s’imbriquer dans un enchevêtrement d’influences linguistiques et culturelles, entre des références à la créolitude originale, un bilinguisme très présent et des mythologies littéraires régionales.», comme le précise Christophe Cassiau, du Centre Charles Baudelaire, dans sa préface au premier numéro de la revue Point barre. Il est manifeste que la génération de Yusuf Kadel insuffle une nouvelle dynamique à la littérature mauricienne.

   Paradoxalement, c’est par le théâtre que s’affiche en premier sa plume. Un septembre noir, prix Jean Fanchette -1994, pièce coup de poing écrite entre 1990 et 1991 à Paris, évoque l’homosexualité d’une religieuse. Confession relatée à partir d’un couvent, ultime parole d’un être en quête de rédemption autant que de compréhension face à un monde sans cesse changeant. « Un septembre noir, précise l’éditeur, ne se cantonne pas au cadre stricte du drame passionnel et comporte une dimension psychologique certaine. La pièce, en effet, s’efforce d’évaluer l’importance de l’influence du hasard, des circonstances sur la psychologie et le destin des personnages qu’elle implique et, par extension, des êtres humains en général. » La critique ne s’est pas trompée en saluant de manière élogieuse la sortie de Un septembre noir. Dans sa préface, le Dr Issa Asgarally précise : « Un septembre noir est, certes, un théâtre de l’audace. Car il n’hésite pas à aborder les rapports homosexuels entre deux femmes. Il est donc salutaire qu’à Maurice le jeune dramaturge Yusuf Kadel s’inscrive sur la voie audacieuse tracée dans les années 1970 par Azize Asgarally (The Hell Hot Bungalow) et Dev Virahsawmy (Li), qui perpétuaient eux-mêmes une tradition qui remonte très loin dans l’histoire du théâtre. » Shenaz Patel confirme : « Un septembre noir est une pièce de qualité, bien écrite, dont les personnages ont une épaisseur psychologique certaine tout en demeurant énigmatique, où le style haché et haletant sait au besoin faire place aux introspections plus fouillées, une pièce qui sait ménager des silences, des pénombres succédant aux éclairs. Un septembre noir  met en scène l’ambivalence et le doute. Pour une pièce de théâtre, ce n’est pas là un moindre mérite. » Cependant, ce qui frappe dans l’écriture dramaturgique de Yusuf Kadel, c’est la mise en perspective de l’histoire contemporaine d’un monde en transformation avec un destin individuel, celui de Lisa. La pièce se déroule avec en écho les bruits de fond de la Seconde Guerre mondiale. À travers ce cheminement historique, l’on assiste au changement fondamental de la face du monde, ainsi qu’aux destins de Marie et Lisa. Là, se joue la redistribution des pouvoirs.

   La langue de Yusuf Kadel, héritière d’une île de Génie, celle de Malcolm de Chazal, est humaniste et éminemment poétique, à l’instar d’un Édouard Maunick. Dans Surenchairs, le recueil qui le révèle au grand public, le poète installe une mystique du regard intérieur, entre chair et terre. Là aussi, les critiques vont saluer chaleureusement le nouveau poète, pour qui la poésie est une langue à part entière qui s’efforce de contourner l’esprit afin de créer un espace d’imagination. La parole révélatrice de l’écrivain qui ausculte ses semblables pour mieux se reconnaître trouve son prolongement dans la défense de la poésie.

   Ainsi, comme toute œuvre qui puise sa vitalité dans la cruauté, selon le sens où l’entendait Antonin Artaud, celle de Yusuf Kadel refuse toute étroitesse culturelle pour parler de l’être humain en général, face à la responsabilité individuelle. L’écriture est pour Yusuf Kadel une expérience individuelle et collective à la fois, qui pousse l’exigence structurelle à son paroxysme. Individuelle dans l’épure et la capacité du renoncement de soi, collective dans la captation d’un héritage émotionnel. Il est le poète dont la grande silhouette hantera désormais, et pour longtemps, les mots qui irriguent et donnent chair au plaisir littéraire.

Caya MAKHÉLÉ,

Cultures Sud No. 170, septembre 2008

 

Caya Makhélé est actuellement directeur des éditions Acoria, directeur des Rencontres du livre Afrique - Caraïbes - Maghreb de Châtenay-Malabry et responsable de la rubrique littéraire du magazine panafricain Continental. Dernier livre paru : Ces jours qui dansent avec la nuit, roman, 2008, éd. Acoria.

Yusuf Kadel
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